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                                                                 Textes et articles (sélection)

Nicole Joye : Ma démarche photographique 

Photographier, aimer photographier, cette passion qui m'habite depuis tant d'années n'obéit ni à une démarche abstraite ni à une problématique conceptuelle. Seul m'intéresse le rapport sensible et immédiat au monde. Un monde, qui, pour moi, se confond avec l'irruption enchantée du singulier. C'est pourquoi on ne trouve aucune thématique récurrente. L'amour du monde tel que je le vis, c'est l'amour du divers dans toute son hétérogénéité : montagnes, paysage urbains, scènes de rue, visages, lumières, activité humaine, rencontres improbables, détails ou ensembles. Toutes mes photos visent à exprimer la richesse du monde. Ce n'est pas véritablement moi qui cherche à capter le monde, c'est lui qui s'impose immédiatement à moi par son infinie puissance de surprise et d'étonnement. C'est ce spectacle du divers et de l'inattendu qui prime. Je suis dans la réceptivité sensible du réel, je ne commande pas les images qu'il me donne. Témoignage de mon amour du monde, ces photos voudraient faire partager ce sentiment, source de bonheur infiniment renouvelé.



Le Petit Bulletin : Mire couleurs 
Exposition à la galerie L'Araminthe, Grenoble, 2002


Jetant le trouble sur notre perception et notre regard, les images de Nicole Joye bousculent et se jouent de nos certitudes visuelles. Cette promenade photographiques en 15 étapes nous emmène dans un imaginaire fait de mystérieux reflets...qui poussent à la réflexion. Endroits inversés, miroirs joueurs, visions déformées au travers de vitres dépolies, flaques coquines et supports polis mais irrespectueux créent un ensemble d'illusions d'optique et de mirages terriblement graphiques et évocateurs.



Gilles Lipovetsky : Au hasard des géométries sensibles, 2022

Qu'y a t'il dans nos souvenirs de jeune écolier, de plus vide d'affect que les formes géométriques : seulement des angles, des lignes droites, des "cylindres, des sphères, des cônes" (Cézanne). Espace de l'impersonnel et de la froide rigueur, l'univers de la géométrie se donne généralement comme l'antithèse de l'expérience émotionnelle. Et si pourtant la géométrie, celle qui habite et configure le réel, était source d'affects? Tel est le parti-pris de Nicole Joye qui, au travers de ses photos s'attache à faire ressentir la charge émotionnelle des géométries qui dessinent le monde sensible. Géométrie du cosmos industriel, architectural, urbain, mais aussi géométries de certaines formes naturelles : il arrive que ces différents environnements échappent à leur destin rigoriste et deviennent source de vibration esthétique.
L'intérêt du travail de Nicole Joye est de nous faire voir cette part de rêve, de jeu et d'imaginaire que véhiculent parfois les horizontales, les verticales, les obliques abstraites. Son talent est de faire admirer cette alchimie du quotidien. C'est ainsi que la photographie réussit à donner une consistance esthétique au paradoxe que constituent les "géométries sensibles".
Nicole Joye n'a pas de "plan" organisé, d'horizon prédéterminé et ne conçoit pas son travail comme l'illustration d'une "idée" conceptuelle ou théorique. Elle est une inlassable promeneuse qui musarde dans les rues, les montagnes, les bords de mer, émerveillée par la beauté du monde, son inépuisable diversité, ses couleurs enchanteresses qu'elle capte au hasard des jours et des saisons. C'est dans cet ensemble de photos que s'opère le second moment du travail de l'artiste : réunir ce qui, à priori, n'a rien de commun, former des "couples" de photos dans lesquels chacune a été prise pour elle-même, pour son idiosyncrasie. Par cette rencontre improbable, l'effet des géométries sensibles se trouve redoublé. Magie de la rencontre qui fait vibrer à l'unisson des univers dissemblables. Nicole Joye n'impose rien au regardeur et ne veut rien démontrer : elle marie ce qui a été découvert par hasard. Au spectacle des photos de Nicole Joye, le hasard se convertit en nécessité émotionnelle. 
C'est ainsi qu'un travail renouant ostensiblement avec la pratique du Beau participe malgré tout de plain pied de l'art contemporain. Ici, "l'oeuvre ouverte" s'affirme non dans la déconstruction du métier, de la représentation, de la perspective, du Beau, des repères de l'art, mais dans la combinaison de la réflexivité et de la contemplation esthétique de celui qui regarde. Non plus mettre en suspend le Beau ou en briser l'harmonie (art moderne), mais réinvestir cette problématique en y injectant une incertitude "obligatoire", en contraignant le public à apporter avec lui ses doutes, ses interrogations, ses propres résonances et ses propres raisons. C'est bien un esprit d'art contemporain qui commande le spectacle de ces géométries sensibles.
Quant au regardeur, le voici engagé dans une expérience paradoxale toute particulière qui mérite l'attention. D'un côté, ces photos ont quelque chose d'indéniablement "classique" par leur dimension esthétique et représentative. Plongeant le spectateur dans une sorte de bienheureuse contemplation, elles semblent ne pas ressortir d'une démarche d'art contemporain et de son indifférence à la question du Beau. Mais d'un autre côté, face à ses binômes chromatiques, un travail réflexif est inévitable. Nous sommes contraints de nous interroger : pourquoi ces mariages de photos? A quoi renvoient ils? Quelle était l'intention de l'artiste? 
Il faut apprécier ce travail, qui, bien que participant de l'art contemporain, s'attarde à redonner tout son éclat et toute sa légitimité à la problématique traditionnelle de la Beauté.



​Le Petit Bulletin, Grenoble, 2020
Exposition à la galerie Alter-Art, Grenoble, 2020



Journal de Bussigny, Lausanne, 1998

Exposition à la galerie du Pressoir, Ecublens, Vaud, CH

Ludique et lumineux, le travail pictural de Nicole Joye accroche le regard du visiteur. D'abord par la disposition originale des oeuvres, ensuite par la démarche joyeuse de l'artiste. A découvrir à la galerie du Pressoir, à Ecublens, jusqu'au 11 octobre.

La peinture de Nicole Joye a toujours été abstraite, sans passage par le figuratif. La démarche picturale de Mme Joye est axée autour du jeu. "Cette idée est prédominante dans mon travail, dit elle."L'accrochage lui-même est ludique: à Ecublens l'artiste a accroché ses toiles de manière particulière: inclinés tous différemment, les tableaux semblent jouer entre eux. A dessein, elle ne les encadre pas: "L'image ne doit pas être limitée, au contraire, elle doit pouvoir s'étendre à volonté." Formes, couleur et transparence mettent en évidence cette volonté ludique, avec des possibilités d'images nouvelles à l'infini, dans une apparence de désordre voulu, de chaos organisé.

​Ken Lum : Les peintures de Nicole Joye


Il y a de la profondeur psychologique dans les peintures de Ms. Joye mais elle est restreinte à une dimension très limitée. Il est intéressant de constater qu’aujourd’hui la peinture abstraite est davantage liée à une indifférence émotionnelle et aux techniques du « hard edge » ainsi que du monochrome dans toutes ses variations. C’est comme si la peinture abstraite ne pouvait être convaincante qu’avec l’ajout d’une dimension imposante. Les peintures de Nicole Joye sont fortes, précisément parce qu’elle tente de faire avancer le plaisir qu’est l’expression informelle en s’opposant à une orthodoxie courante de la peinture. Qu’en plus, ses peintures soient aussi un succès technique ne fait que renforcer sa position.
   

    
                                                                            

 Tom Skipp : Formes et superpositions dans la peinture de Nicole Joye


Des formes parfois transparentes, permettant de révéler une superposition de couches qui masquent une énigme dans laquelle le regard se perd dans son désir de compréhension. Des compositions selon nature ou conceptuelles qui font dévier de façon astucieuse notre regard de l’essence, de l’origine de la peinture elle-même, éveillant en nous le soupçon qu’il y a quelque chose que la vue ne peut pas saisir, comme si la distance entre le spectateur et le fond de la toile ne pouvait être franchie.


    

Gilles Lipovetsky : La peinture de Nicole Joye


La peinture de Nicole Joye, c’est la magie, l’amour, l’ivresse infinie de la couleur. La couleur, rien que la couleur laquelle triomphe dans des espaces abstraits et erratiques. Mais cette palette chromatique luxuriante est aux antipodes des jeux du décoratif : elle est l’expression même de la vie émotionnelle, de son exubérance et de ses surprises. Si ici, tout est abstrait, c’est pourtant la chair de la terre et des corps vivants qui ne cesse de faire vibrer l’oeil et la sensibilité du regardeur.


                                                                                                                                   

 Tribune Rives-Lac Genève Novembre 2022

Exposition au CCM de Cologny. Genève. CH
                     
                                                                                                           

Cologny, par une journée douce d'automne, un nouveau vernissage se prépare. Les photos et les peintures colorées de Nicole Joye sont accrochées avec une géométrie précise sur des murs pas toujours symétriques. Joëlle Gervaix nous enchante toujours de son regard de qualité sur les artistes qu'elle présente. Nicole Joye en est encore une vraie. 2000, 2010, 2020 défilent sur les murs de ce bâtiment historique. Les oeuvres font rêver...

      

   
 

Aline Guillermet. Université de Cambridge 2025

Punctum et points aveugles

Nicole Joye a suivi une formation de peintre au début des années 1990. En parallèle, elle a développé une pratique photographique  qui a depuis pris une place prépondérante dans son travail. En 2020, Joye a commencé à combiner les deux medias pour créer les Superpositions Chromatiques, des photographies couleur de taille moyenne repeintes à la main à l'encre. La plus récente série de Superpositions Chromatiques, s'intitule Melody in blue (2023-24), et comprend seize oeuvres de 30x30 cm qui explorent le thème de l'eau sous différentes formes: enfermée, aseptisée, stagnante, fluide, gelée. Les photographies mettent en avant des motifs aquatiques retravaillés à l'encre dans des nuances de bleu, souvent opposées à leur teintes complémentaires : le jaune, l'orange et le rouge. Le blanc est également très présent parmi les ajouts picturaux de la série, suggérant un voile empiétant sur la réalité, à travers lequel nous pourrions néanmoins apercevoir quelque chose d'essentiel : le contour d'un corps émergeant d'une piscine, ou s'élançant sur un étang gelé. Des disques de peinture blanche flottants reviennent d'un tirage à l'autre - soleil, lune ou flocon surdimensionné - comme autant de points aveugles.

 

La pratique artistique consistant à retravailler des photographies avec de la peinture remonte au Pictorialisme de la fin du 19ème siècle, et a culminé avec la reconnaissance des photographies surpeintes (Übermalungen)  de Gerhard Richter en tant qu'oeuvres d'art au milieu des années 2000.  Alors que les pictorialistes cherchaient à esthétiser des photographies noir et blanc existantes, Richter a crée un nouveau genre d'oeuvres hybrides en trainant ou pressant des photographies de famille ratées dans les couches de peinture accumulées sur ses "râteaux" - longues règles de bois qu'il utilise pour racler l'excédent de peinture de ses toiles abstraites - après une journée de travail.

 

Cependant, l'approche de Nicole Joye ne ressemble ni à la coloration atmosphérique de tirages existants par les pictorialistes, ni à la superposition fortuite d'instantanés personnels caractéristiques des Übermalungen de Richter. La composition de chaque Superpositions Chromatiques est soigneusement orchestrée et emprunte son esthétique géométrique à la peinture abstraite dite color field et hard edge. Des aplats d'encre sont appliqués sur des motifs choisis de la photographie et, dans une dialectique qui opère tout au long de la série, la peinture dissimule et révèle à la fois d'infimes détails du quotidien. Dans un exemple intitulé Paradise, le regard est immédiatement attiré par les lettres majuscules jaune épelant le mot éponyme et se détachant d'un fond de peinture bleu ciel au-dessus d'un bâtiment, et par les eaux turquoises d'une piscine. Ce premier aperçu d'une station balnéaire d'apparence idyllique est nuancé par les coulures de peinture qui traversent la piscine  et les traces verticales de peinture blanche appliquées à la hâte sur la droite de l'image, conférant une atmosphère glauque au paysage urbain.

 

Enfouie sous la peinture, émergeant d'un étroit interstice dans la trace blanche, la silhouette partielle d'une jeune femme surgit : une jambe pliée au genou, une fesse, la moitié supérieure du dos recouverte de cheveux mouillés. Ici, la peinture blanche appliquée sur le tirage agit comme un obturateur photographique : elle cadre et isole un détail de l'arrière plan pour le présenter au regard du spectateur comme une petite révélation. : il devient impossible de ne pas voir la jeune femme qui était, il y a une minute à peine, masquée par la peinture. Dans son ouvrage La chambre claire, Roland Barthes donna un nom à ce genre de détails : le "punctum"  d'une photographie c'est "ce hasard qui, en elle, me point". "Je sens que sa seule présence change ma lecture, que c'est une nouvelle photo que je regarde, marquée à mes yeux d'une valeur supérieure."

 

L'analogie entre la dynamique structurelle que Barthes identifie comme l'eïdos de la photographie dans La chambre claire et les Superpositions Chromatiques suggère qu'à certains égards, ces oeuvres hybrides privilégient le médium photographiques. Pourtant, elles sont aussi essentiellement peintures : chaque photographie est avant tout une feuille de route pour une composition picturale élaborée. Contrairement au punctum de Barthes, les intrusions d'encre ne sont pas le fruit du hasard : Nicole Joye masque les structures existantes pour inventer de nouvelles architectures. La photographie n'est pas seulement  un modèle, elle est aussi fondamentalement l'occasion de donner vie à une nouvelle peinture abstraite.

 

 

 

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